🖋 Michel Lechevallier – Tribune parue en juillet 2025
La Chine a compris. L’Europe, elle, hésite encore. Alors que les lignes de code gouvernent de plus en plus nos économies, nos infrastructures et même nos décisions politiques, il devient urgent de reconsidérer le logiciel libre non comme une curiosité communautaire, mais comme un outil de puissance stratégique.
Dans une chronique récente (L’Express, 10 juillet 2025), Robin Rivaton montre comment la Chine déploie une stratégie industrielle brillante autour de l’open source. Ce n’est pas de la philanthropie. C’est une manœuvre délibérée pour imposer ses standards techniques, renforcer son autonomie face aux sanctions étrangères, et — surtout — vendre massivement des produits compatibles avec ces logiciels ouverts.
Huawei, Baidu, Unitree, BYD… Ces géants partagent publiquement les codes sources de leurs modèles d’intelligence artificielle, de leurs systèmes embarqués, de leurs humanoïdes ou même de leurs microcontrôleurs. L’objectif ? Créer des communautés mondiales de développeurs qui, en s’appropriant ces briques technologiques, valident, diffusent et perfectionnent les normes chinoises. La mécanique est bien rodée : plus le code est libre, plus le produit devient incontournable.
La démarche repose sur une évidence économique : les profits ne se font plus sur le logiciel, mais sur ce qu’il permet de vendre. Les robots, les véhicules, les semi-conducteurs. Le logiciel devient le cheval de Troie d’une domination matérielle.
Certes, Bruxelles a bien publié une stratégie pour l’open source dans les administrations. Certes, quelques start-ups ou associations défendent des alternatives libres. Mais où est la vision industrielle ? Où est le soutien massif à des plateformes européennes équivalentes à GitHub, à des modèles d’IA ouverts conçus sur le sol européen, à des systèmes d’exploitation embarqués souverains ?
Le potentiel du logiciel libre est immense :
Mais pour que ce potentiel se transforme en levier, encore faut-il une volonté politique et industrielle forte, non des intentions diluées. Car en matière numérique, l’inaction est un choix, et c’est celui de la dépendance.
Il ne s’agit pas de copier le modèle chinois, autoritaire et centralisé. Il s’agit de comprendre que la logique du bien commun numérique peut — et doit — coexister avec une stratégie de puissance technologique. L’open source n’est pas incompatible avec le marché, il en est le carburant.
Face aux défis de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité, de la transition énergétique ou de la mobilité, l’Europe doit cesser d’être une simple consommatrice de normes américaines ou asiatiques, et redevenir une productrice de standards. C’est dans le code, aujourd’hui, que se décide la géopolitique de demain.
Alors oui, il est temps de se réveiller. D’être agile, comme disent les consultants, mais surtout visionnaire, cohérent et courageux. Car si nous n’investissons pas massivement dans le logiciel libre aujourd’hui, nous en paierons le prix demain — en perte d’autonomie, de compétitivité, et même de démocratie.
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